Lettre ouverte à Bernard Drainville

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Montréal - lundi, mars 13, 2023

Le comité de parents de la Commission scolaire English-Montréal (CPCSEM) s’inquiète de plus en plus de l’impact de la loi 96 sur le système d’éducation anglophone depuis son adoption par l’Assemblée nationale il y a huit mois. Nous souhaitons vous faire part de nos préoccupations pour vous permettre d’avoir une meilleure compréhension de notre opposition à la loi et de notre appui à la contestation judiciaire intentée par la Commission scolaire English-Montréal (CSEM). Ce faisant, nous espérons que vous accepterez, à court terme, de modifier certains aspects de la loi afin de favoriser la réussite des élèves.

Forte d’un effectif de plus de 37 000 élèves aux secteurs des jeunes et des adultes et d’un réseau de 73 écoles et centres, la CSEM est la plus grande commission scolaire publique anglophone du Québec. Plus important encore, nous affichons le taux de diplomation le plus élevé au secondaire, soit 92,4 %, parmi toutes les commissions scolaires publiques de la province.

L’obtention d’un diplôme d’études secondaires n’est pas notre seul critère de réussite. En tant que parents, nous voulons que nos enfants possèdent les compétences linguistiques nécessaires en français pour s’épanouir au Québec. Nous soutenons la nécessité de promouvoir et de protéger la langue française au Québec et partout au Canada. Notre communauté anglophone a créé le modèle d’immersion française dans les années 60, bien avant la Loi 101, et nos commissions scolaires partout au Québec veillent à ce que nos enfants soient en mesure de vivre et de travailler en français. À la CSEM, les parents ont le choix entre trois modèles d’enseignement du français au primaire, soit le programme de base, le programme bilingue et l’immersion française, alors que les écoles secondaires offrent plusieurs programmes de français qui surpassent les exigences minimales du Ministère.

Certains aspects de la loi 96 menacent la vitalité du système scolaire anglophone, et nous souhaitons les porter à votre attention dans l’espoir que vous en tiendrez compte en temps opportun.

Nous appelons le gouvernement à reconsidérer l’imposition d’une limite de trois ans – auparavant, elle était de 6 ans – pour l’admissibilité à l’école anglaise pour les enfants des personnes travaillant temporairement au Québec. Le bassin de candidats potentiels dans les écoles de la CSEM et d’autres commissions scolaires anglophones s’en trouve ainsi réduit, ce qui a pour effet d’affaiblir notre système d’éducation. Plus important encore, le fait de forcer les élèves à abandonner leurs amis et leurs enseignants, et à s’adapter à un nouvel environnement n’est pas une recette gagnante pour leur réussite. De plus, dans le contexte actuel où les entreprises québécoises rivalisent avec les autres pays pour attirer les talents, cela a pour effet de diminuer l’intérêt des nouveaux arrivants pour notre ville et notre province.

La poursuite d’études postsecondaires est une autre mesure de la réussite des élèves. Notre objectif est de voir nos jeunes poursuivre leurs études au niveau collégial. Or, la loi 96 dresse des obstacles inutiles et injustifiés à leur réussite au cégep et à leurs chances d’accéder à des études supérieures au Québec. Nous sommes particulièrement préoccupés par l’exigence imposée aux élèves des cégeps anglophones de réussir trois cours de français de base pour l’obtention d’un DEC ainsi que le plafonnement des inscriptions dans les cégeps anglophones. 

  • Pour les étudiants anglophones, l’ajout de cours obligatoires en français rendra plus difficile l’admission à l’université de leur choix (leur cote R risque d’être affectée) et crée des obstacles en particulier pour les jeunes ayant des besoins particuliers et des difficultés d’apprentissage liées au langage. Par ailleurs, nous craignons que beaucoup de jeunes choisissent de quitter le Québec après l’école secondaire.
  • Le gel des admissions met en danger l’avenir des cégeps anglophones puisqu’ils seront moins enclins à offrir de nouveaux programmes et moins susceptibles d'être admissibles à un financement. Cela freinera l'innovation et limitera sérieusement la création de nouveaux programmes.

La protection et la promotion du français ne doivent pas se faire au détriment des droits fondamentaux des Québécois ni en portant atteinte aux droits de la communauté d’expression anglaise du Québec. Les Québécois sont, à juste titre, fiers de la Charte des droits et libertés de la personne, qui est progressiste, exhaustive et novatrice. La Charte québécoise est une loi fondamentale et quasi constitutionnelle du Québec. Elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec le 27 juin 1975, dans une législature formée des libéraux au pouvoir de Robert Bourassa, de l’opposition officielle du Parti québécois, et de deux députés du Ralliement créditiste. René Lévesque était si fier de la Charte qu’il en a posté une copie à tous les Québécois après avoir été élu premier ministre.

La Charte québécoise fait maintenant partie des valeurs communes chères au Québec. Les droits fondamentaux qu’elle protège pour tous les Québécois ne peuvent être mis de côté à la légère. Il en est de même pour la Charte canadienne des droits et libertés. Les deux chartes comportent une clause dérogatoire qui permet à la législature, dans certaines limites, d’adopter une loi applicable malgré les droits fondamentaux énoncés dans les chartes. Mais nous sommes d’avis, comme beaucoup d’autres y compris certains juges et juges de paix, que le recours aux clauses dérogatoires doit se faire avec circonspection et doit avoir une application limitée.

Le recours général et préventif aux dispositions de dérogation protège la loi 96 contre toute contestation judiciaire en vertu des chartes des droits, y compris chacune des dispositions de la Charte de la langue française. Nous croyons que cela est incompatible avec nos valeurs en tant que Québécois et avec notre fière tradition de protection des droits de la personne. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous appuyons pleinement la contestation judiciaire de la CSEM contre la loi 96, et aussi contre la loi 21. Le message véhiculé par ces deux lois va à l'encontre de notre engagement à bâtir un Québec inclusif où le français est la langue commune.

Nous maintenons également que les services gouvernementaux en anglais ne devraient pas être limités aux « anglophones historiques », c’est-à-dire aux personnes admissibles à l’école secondaire en anglais. Nous nous opposons également à d’autres éléments de la loi, comme les nouveaux pouvoirs en matière d’enquête et d’inspection qui ont été ajoutés à la Charte de la langue française et qui ne sont pas assujettis à l’interdiction de saisies, perquisitions ou fouilles abusives que l’on retrouve dans les chartes canadienne et québécoise.

Nous sommes bien conscients que la contestation judiciaire de la loi 96 prendra des années à se frayer un chemin dans notre système de justice et éventuellement à être entendue par la Cour suprême du Canada. Mais soyez assurés que, bien que nous soyons déterminés à défendre nos droits, notre priorité demeure ce qui compte le plus : améliorer les compétences de nos enfants en français et favoriser leur réussite dans un Québec inclusif. Dans cet esprit, nous vous demandons instamment d’apporter les ajustements que nous proposons dans la mise en œuvre de la loi 96.

À propos du comité de parents de la CSEM

Le comité de parents de la Commission scolaire English-Montréal (CPCSEM) est composé d’un délégué provenant de chacune des écoles de chaque région administrative et d’un membre du comité consultatif des services de l’adaptation scolaire (CCSAS). Le CPCSEM donne son avis sur des questions favorisant le fonctionnement optimal de la commission scolaire. Il informe la commission scolaire des besoins des parents, et formule des recommandations sur différentes questions pour lesquelles il doit être consulté.

 

Katherine Korakakis

Présidente
Comité de parents de la CSEM

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